RESUME DE LA PARACHA
Paracha de VAYÉRA
Un regard rapide sur le début de la Paracha nous plonge dans une véritable tragédie. Un homme accablé par le sort, privé de son oxygène, voire de sa raison de vivre, va désespérément guetter la moindre occasion d’accomplir l’acte ultime : LA MITSVA !
Avraham, âgé de 99 ans vient de subir une intervention chirurgicale : la circoncision. Il est convalescent; sa plaie n’est pas totalement cicatrisée ; à trois jours de son opération, les douleurs sont des plus intenses. Il devrait raisonnablement se reposer mais il insiste ! Il insiste pour se lever et se préparer à accueillir d’éventuels voyageurs pour leur offrir l’hospitalité. Mais Hachem -afin qu’il se repose- avait déclenché une canicule si forte, qu’aucun voyageur -fut-il le plus téméraire- ne se risqua à l’extérieur ce jour là !
Mais de son côté, Avraham est consterné : comment passer ne serait-ce qu’une journée sans s’acquitter et accomplir cette Mitsva devenue sienne qu’est le Guémilout ‘Hassadim (acte de bonté et de générosité envers autrui) ?!
Bien qu’il réunisse toutes les conditions requises pour invoquer le cas de force majeure, que rien ne l’oblige à se faire violence, Avraham n’a aucunement le sentiment d’être libéré de son devoir pour autant. Ces circonstances –pourtant indépendantes de sa volonté- n’engendreront chez lui aucun sentiment de soulagement ou de relâchement.
Pas de chômage partiel pour le patriarche !
En effet, pour bénéficier de la subvention divine « c’est l’intention qui compte ! », Avraham va d’abord devoir relever le challenge d’aller jusqu’au bout de ses capacités, et ce, jusqu’à l’ultime tentative. Celle d’attendre à l’extérieur (par temps de canicule) que l’invité providentiel se montre, quitte à lui courir derrière s’il le faut! Et s’il ne peut en faire plus et qu’aucun passant ne se pointe à l’horizon, il souffrira tout de même de n’avoir pu offrir l’hospitalité à personne !
Chaque Mitsva accomplie donne naissance à un ange, disent les Maximes des pères ! Mais qu’en est-il d’une intention sincère qui ne peut aboutir ? On est en droit de penser que l’apparition miraculeuse de trois anges devant la tente d’Avraham répond à notre question !
Des situations indépendantes de notre volonté ; ne pas pouvoir accomplir toutes nos Mitsvot pour des motifs de santé ou de sécurité ; cela nous rappelle vaguement quelque chose !
Mais ne nous méprenons pas. Cela n’excuse jamais que l’absence de résultat !
Cela ne nous désengage aucunement de nos devoirs. Nous sommes tenus de reconsidérer en permanence et en temps réel notre capacité à accomplir nos Mitsvot dans la limite du possible.
Pour dire vrai, les dispenses ne facilitent en rien les choses. Le caractère subjectif du « je fais ce que je peux » impose une autodiscipline et une autocritique à toute épreuve. Combien d’efforts dois-je fournir ? En ai-je assez fait ? J’en fais peut-être trop ? alors que la nature concrète d’un acte achevé, nous indique clairement la ligne d’arrivée!
Certes, la tentative infructueuse* d’Avraham lui aura couté beaucoup plus d’efforts et de tracas que de recevoir concrètement des invités humains.
Mais finalement, quelle invitation aura le plus marqué l’histoire d’Avraham et de sa descendance ? Laquelle aura le plus mis à l’épreuve ses qualités humaines? Laquelle sera décrite par la Torah avec une surabondance de détails, témoignant ainsi de sa centralité ?
Celle qu’il aura manquée ! Celle qui lui aura demandé d’aller au bout de lui même, sans même se concrétiser !
Pour la Torah redoublons d’efforts sans jamais perdre espoir,
Car devant Hachem nulle intention n’est dérisoire.
Et peut-être qu’à notre tour, allez savoir,
Changerons-nous le cours de l’histoire !
Un regard rapide sur le début de la Paracha nous plonge dans une véritable tragédie. Un homme accablé par le sort, privé de son oxygène, voire de sa raison de vivre, va désespérément guetter la moindre occasion d’accomplir l’acte ultime : LA MITSVA !
Avraham, âgé de 99 ans vient de subir une intervention chirurgicale : la circoncision. Il est convalescent; sa plaie n’est pas totalement cicatrisée ; à trois jours de son opération, les douleurs sont des plus intenses. Il devrait raisonnablement se reposer mais il insiste ! Il insiste pour se lever et se préparer à accueillir d’éventuels voyageurs pour leur offrir l’hospitalité. Mais Hachem -afin qu’il se repose- avait déclenché une canicule si forte, qu’aucun voyageur -fut-il le plus téméraire- ne se risqua à l’extérieur ce jour là !
Mais de son côté, Avraham est consterné : comment passer ne serait-ce qu’une journée sans s’acquitter et accomplir cette Mitsva devenue sienne qu’est le Guémilout ‘Hassadim (acte de bonté et de générosité envers autrui) ?!
Bien qu’il réunisse toutes les conditions requises pour invoquer le cas de force majeure, que rien ne l’oblige à se faire violence, Avraham n’a aucunement le sentiment d’être libéré de son devoir pour autant. Ces circonstances –pourtant indépendantes de sa volonté- n’engendreront chez lui aucun sentiment de soulagement ou de relâchement.
Pas de chômage partiel pour le patriarche !
En effet, pour bénéficier de la subvention divine « c’est l’intention qui compte ! », Avraham va d’abord devoir relever le challenge d’aller jusqu’au bout de ses capacités, et ce, jusqu’à l’ultime tentative. Celle d’attendre à l’extérieur (par temps de canicule) que l’invité providentiel se montre, quitte à lui courir derrière s’il le faut! Et s’il ne peut en faire plus et qu’aucun passant ne se pointe à l’horizon, il souffrira tout de même de n’avoir pu offrir l’hospitalité à personne !
Chaque Mitsva accomplie donne naissance à un ange, disent les Maximes des pères ! Mais qu’en est-il d’une intention sincère qui ne peut aboutir ? On est en droit de penser que l’apparition miraculeuse de trois anges devant la tente d’Avraham répond à notre question !
Des situations indépendantes de notre volonté ; ne pas pouvoir accomplir toutes nos Mitsvot pour des motifs de santé ou de sécurité ; cela nous rappelle vaguement quelque chose !
Mais ne nous méprenons pas. Cela n’excuse jamais que l’absence de résultat !
Cela ne nous désengage aucunement de nos devoirs. Nous sommes tenus de reconsidérer en permanence et en temps réel notre capacité à accomplir nos Mitsvot dans la limite du possible.
Pour dire vrai, les dispenses ne facilitent en rien les choses. Le caractère subjectif du « je fais ce que je peux » impose une autodiscipline et une autocritique à toute épreuve. Combien d’efforts dois-je fournir ? En ai-je assez fait ? J’en fais peut-être trop ? alors que la nature concrète d’un acte achevé, nous indique clairement la ligne d’arrivée!
Certes, la tentative infructueuse* d’Avraham lui aura couté beaucoup plus d’efforts et de tracas que de recevoir concrètement des invités humains.
Mais finalement, quelle invitation aura le plus marqué l’histoire d’Avraham et de sa descendance ? Laquelle aura le plus mis à l’épreuve ses qualités humaines? Laquelle sera décrite par la Torah avec une surabondance de détails, témoignant ainsi de sa centralité ?
Celle qu’il aura manquée ! Celle qui lui aura demandé d’aller au bout de lui même, sans même se concrétiser !
Pour la Torah redoublons d’efforts sans jamais perdre espoir,
Car devant Hachem nulle intention n’est dérisoire.
Et peut-être qu’à notre tour, allez savoir,
Changerons-nous le cours de l’histoire !
AKEDAT YITSKHAK LA LIGATURE D'ISAAC
SACRIFICE D'ISAAC,VRAIMENT?
La ligature d’Isaac (Genèse, 22 ;1-19) est un épisode troublant et inquiétant de la Bible: pourquoi Abraham a-t-il obéi à l’ordre de Dieu de sacrifier son fils Isaak sans même élever une objection morale comme il l’avait fait pour Sodome et Gomorrhe ? Cette obéissance à Dieu, rappelée dans les grandes occasions liturgiques, à Roch Hachana en particulier, a continué à me questionner et m’émouvoir, même si in fine Isaac fut remplacé par un bélier.
La Akedat Itzhak est une parabole historique qui accompagne le peuple d’Israël pour toutes les générations. Est-elle un symbole d’héroïsme et de sacrifice pour le Kidouch Hachem ? Une preuve de foi ? Veut-elle montrer la capacité de faire le sacrifice le plus grand et le plus terrible qui soit demandé à l’homme ? Représente-t-elle une foi aveugle et sans retenue ? Ou bien veut-elle nous enseigner que Dieu ne veut pas de sacrifice humain ?
il s’agit en fait de recenser certaines des interprétations mystiques et philosophiques que soulève ce récit. huit auteurs, du moyen âge au vingtième siècle, présentent une interprétation différente. Mais les mêmes thèmes réapparaissent toutefois d’un auteur à l’autre, en particulier l’amour et la crainte de Dieu.
Il faut bien sûr commencer par le texte biblique lui-même (Gen, Vayéra, chap XII, 1-19) :
« Ahar hadevarim haélé » (Après ces évènements). Lesquels ? Il y en eut tant dans le chapitre précédent de la Genèse: successivement le pacte avec Avimelekh, le renvoi d’Agar et Ismaël, la destruction de Sodome et Gomorrhe après échec de la négociation d’Abraham avec Dieu pour les épargner, l’annonce au patriarche centenaire de la naissance d’un fils, Isaac, le pacte avec Dieu, la défaite par Abraham de Kedorlaomer et son refus de récompense « fut-ce un lacet de chaussure » (Gen, 14 :24)
Donc après ces évènements, Dieu éprouva (« Nisa ») Abraham. Il l’appela : « Abraham ! ». Celui-ci répondit « Hineni » (Me voici). Il lui dit : « Kah na » « Prends, s’il te plait ton fils unique, que tu as aimé, Isaac, (Rachi : gradation pour ménager Abraham et ne pas le jeter dans le désarroi), vas vers-toi (Lekh lekha) vers la terre de Moria et fais-le monter pour holocauste (« heéléou leola ») sur l’une des montagnes que je t’indiquerai ». Abraham se leva le matin, sella son âne, prit deux jeunes avec lui (Rachi : ce sont Ismaël et Eliezer), et Isaac son fils, fendit le bois du sacrifice, et alla vers le lieu. Le troisième jour, il leva les yeux et vit l’endroit au loin. Et il dit aux deux jeunes : « Asseyez-vous ici avec l’âne, et moi et le jeune nous marcherons jusque-là, nous nous prosternerons, et reviendrons vers vous » (Rachi : Abraham a prophétisé qu’ils reviendront tous les deux, Isaac et lui) . Abraham prit les bois du sacrifice qu’il posa sur Isaac son fils, prit dans sa main le feu et le couteau, et ils allèrent ensemble tous deux. (Rachi : Abraham savait qu’il allait immoler son fils et marchait avec la même joie qu’Isaac qui ne savait rien).
Isaac dit à Abraham : « Mon père ! ». Abraham : « Me voici, mon fils ». « Voici le feu et les bois, et où est l’agneau pour l’holocauste ? » « Dieu verra pour l’agneau pour l’holocauste, mon fils » (Rachi : c’est là qu’Isaac comprit qu’il allait être l’agneau, mais il continua à marcher d’un même cœur). Et ils vinrent à l’endroit indiqué. Abraham construisit là l’autel, disposa les bois, lia Isaac son fils et le posa sur l’autel au-dessus des bois. Et il tendit la main, prit le couteau pour égorger (lichehot) son fils.
Et un ange de Dieu l’appela : « Abraham ! Abraham ! » (deux fois). « Me voici ». « Ne lève pas ta main sur le jeune et ne lui fais rien, car maintenant j’ai su que tu crains Dieu et ne m’as pas refusé ton fils unique ». Et Abraham leva les yeux et vit un bélier, les cornes emmêlées dans un buisson. Il le prit et le sacrifia en holocauste à la place de son fils. Abraham dénomma ce lieu « Adonaï Yré ». Et l’ange de Dieu l’appela du ciel une deuxième fois et lui dit « J’ai juré sur moi, parole de Hachem, parce que tu n’as pas refusé ton fils unique, alors je te bénirai de bénédiction et je multiplierai beaucoup ta descendance comme les étoiles des cieux et comme le sable au bord de la mer ». Abraham retourna à ses jeunes, ils se levèrent et allèrent ensemble à Beer-Cheva.
Je voudrais intégrer ici un Pizmon ETE CHAARE RATSON (texte poétique) sépharade chanté à Roch Hachana avant la sonnerie du Chofar et qui apporte un éclairage complémentaire au texte biblique :
(Après le premier ordre de Dieu « Koum, Haaléou li léola) … Abraham dit à Sarah :« Amar le Sarah ki Hamoudekh Itzhak gadal vé lo lamad avoudat chahak, élékh vé oréou acher lo El hak » (Ton chéri Isaac a grandi mais n’a pas appris le culte à Dieu. J’irai et je lui montrerai son devoir). Sarah : “Amra : Lékha adon aval al tirhak ». Abraham : “ Ana yehi libekh be El botéah” (Elle dit : « Vas, maître, mais ne t’éloigne pas ». Il répondit ; « Que ton cœur soit confiant en Dieu »).
Ils s’avancent, et au troisième jour : Question d’Isaac à Abraham : « Où est l’agneau ? As-tu en ce jour oublié ta Loi ? » Abraham répondit : « Notre refuge est dans le Dieu vivant. Il pourvoira à l’agneau pour le sacrifice. Sache que Dieu fait tout ce qu’Il veut. Nous construirons, mon fils, un trône pour Lui ».
Ils frappèrent aux portes de la grâce, le fils pour être sacrifié et le père pour sacrifier. Il (Abraham) prépara le bois du sacrifice avec vigueur et tremblement. Il lia Isaac comme on lie un bélier, et leurs yeux s’obscurcirent, des larmes s’échappèrent en torrents, l’œil pleurant amèrement et le cœur joyeux.
Isaac : « Dîtes à ma mère que son bonheur n’est plus ; le fils qui lui est né à 90 ans est devenu la proie du feu et du couteau. Où trouver sa consolation ? Je souffre de tes pleurs, ma mère, et de tes plaintes. Devant le couteau ma langue balbutie, prends soin de l’aiguiser, mon père, et de serrer mes liens, prends avec toi le reste de mes cendres, et dis à Sarah voilà l’odeur (âme) d’Isaac ».
Mais tous les anges de la Mercaba s’émurent, les Ophanim et les Seraphins vinrent supplier Dieu, pour Isaac chef d’armée : « Accepte, je t’en supplie une rançon, le monde ne doit pas perdre un astre si beau ». Le maître des cieux dit à Abraham : « Ne brandis pas ton bras contre un des trois Pères. Repartez en paix Anges du camp céleste, des enfants de Jacob j’effacerai les fautes. »
Ce Pizmon a, selon moi, donné une présence à Sarah, alors qu’elle n’est aucunement citée dans l’épisode biblique. Il y est dit seulement qu’elle mourut aussitôt après.
La Akedat Itzhak selon le hassidisme ashkénaze du 12ème siècle
Plusieurs textes et pioutim du 12ème siècle [2] comparent les massacres des communautés juives rhénanes par les croisés à la Akédat Itzhak, (sauf qu’ici aucun ange n’est venu arrêter les tueries !). La comparaison est poussée encore plus loin puisque certaines communautés ont préféré mourir pour le « Kidouch Hachem » (sanctification du Nom) plutôt que transgresser les commandements.
Surtout il est dit que la question posée par Isaac à Abraham à l’approche du Moria (« Où est la victime pour le sacrifice ? ») montre qu’il se doute que cela pourrait être lui-même et qu’il a peur. Le Midrach rabba est encore plus clair : Isaac a fini par comprendre l’absence d’agneau alors que tout est prêt pour le sacrifice, le couteau et le bois pour le bucher. Il comprend alors ce qui l’attend, bien qu’Abraham ne lui en ait rien dit. C’est pourquoi il a peur. Et les anges pleurent …de peur. Relevons ici que le qualificatif le plus souvent attaché à Isaac dans la liturgie juive est la peur. Ne dit-on pas « Oufahad Itzhak » ? Je ne sais pas quelle est la source de cet étrange qualificatif et la raison de le faire commencer par « Ou » c’est-à-dire « Et » : « Et Isaac a eu peur ». La crainte en tout cas s’accompagne de tremblement pour Kierkegaard. L’angoisse est présente et se manifeste physiquement.
On remarque en outre qu’Isaac, après la substitution du bélier, ne revient pas avec Abraham : celui-ci d’ailleurs va à Beer-Cheva. Retourne-t-il prés de Sarah ? Où Isaac est-il allé après la ligature ? On (on : Satan ?) aurait annoncé alors à Sarah qu’Isaac avait été sacrifié, ce qui la fait mourir de douleur. La Bible ne donne aucune précision de ce type. Rachi pour sa part donne une interprétation sensible et plausible de la mort de Sarah : « La mort de Sarah suit immédiatement le récit de la ligature d’Isaac. En apprenant que son enfant avait été lié sur l’autel, qu’il était prêt à être immolé et peu s’en fallut qu’il le fût, son âme l’a quittée et elle en est morte ».
La Akedat Itzhak est une parabole historique qui accompagne le peuple d’Israël pour toutes les générations. Est-elle un symbole d’héroïsme et de sacrifice pour le Kidouch Hachem ? Une preuve de foi ? Veut-elle montrer la capacité de faire le sacrifice le plus grand et le plus terrible qui soit demandé à l’homme ? Représente-t-elle une foi aveugle et sans retenue ? Ou bien veut-elle nous enseigner que Dieu ne veut pas de sacrifice humain ?
il s’agit en fait de recenser certaines des interprétations mystiques et philosophiques que soulève ce récit. huit auteurs, du moyen âge au vingtième siècle, présentent une interprétation différente. Mais les mêmes thèmes réapparaissent toutefois d’un auteur à l’autre, en particulier l’amour et la crainte de Dieu.
Il faut bien sûr commencer par le texte biblique lui-même (Gen, Vayéra, chap XII, 1-19) :
« Ahar hadevarim haélé » (Après ces évènements). Lesquels ? Il y en eut tant dans le chapitre précédent de la Genèse: successivement le pacte avec Avimelekh, le renvoi d’Agar et Ismaël, la destruction de Sodome et Gomorrhe après échec de la négociation d’Abraham avec Dieu pour les épargner, l’annonce au patriarche centenaire de la naissance d’un fils, Isaac, le pacte avec Dieu, la défaite par Abraham de Kedorlaomer et son refus de récompense « fut-ce un lacet de chaussure » (Gen, 14 :24)
Donc après ces évènements, Dieu éprouva (« Nisa ») Abraham. Il l’appela : « Abraham ! ». Celui-ci répondit « Hineni » (Me voici). Il lui dit : « Kah na » « Prends, s’il te plait ton fils unique, que tu as aimé, Isaac, (Rachi : gradation pour ménager Abraham et ne pas le jeter dans le désarroi), vas vers-toi (Lekh lekha) vers la terre de Moria et fais-le monter pour holocauste (« heéléou leola ») sur l’une des montagnes que je t’indiquerai ». Abraham se leva le matin, sella son âne, prit deux jeunes avec lui (Rachi : ce sont Ismaël et Eliezer), et Isaac son fils, fendit le bois du sacrifice, et alla vers le lieu. Le troisième jour, il leva les yeux et vit l’endroit au loin. Et il dit aux deux jeunes : « Asseyez-vous ici avec l’âne, et moi et le jeune nous marcherons jusque-là, nous nous prosternerons, et reviendrons vers vous » (Rachi : Abraham a prophétisé qu’ils reviendront tous les deux, Isaac et lui) . Abraham prit les bois du sacrifice qu’il posa sur Isaac son fils, prit dans sa main le feu et le couteau, et ils allèrent ensemble tous deux. (Rachi : Abraham savait qu’il allait immoler son fils et marchait avec la même joie qu’Isaac qui ne savait rien).
Isaac dit à Abraham : « Mon père ! ». Abraham : « Me voici, mon fils ». « Voici le feu et les bois, et où est l’agneau pour l’holocauste ? » « Dieu verra pour l’agneau pour l’holocauste, mon fils » (Rachi : c’est là qu’Isaac comprit qu’il allait être l’agneau, mais il continua à marcher d’un même cœur). Et ils vinrent à l’endroit indiqué. Abraham construisit là l’autel, disposa les bois, lia Isaac son fils et le posa sur l’autel au-dessus des bois. Et il tendit la main, prit le couteau pour égorger (lichehot) son fils.
Et un ange de Dieu l’appela : « Abraham ! Abraham ! » (deux fois). « Me voici ». « Ne lève pas ta main sur le jeune et ne lui fais rien, car maintenant j’ai su que tu crains Dieu et ne m’as pas refusé ton fils unique ». Et Abraham leva les yeux et vit un bélier, les cornes emmêlées dans un buisson. Il le prit et le sacrifia en holocauste à la place de son fils. Abraham dénomma ce lieu « Adonaï Yré ». Et l’ange de Dieu l’appela du ciel une deuxième fois et lui dit « J’ai juré sur moi, parole de Hachem, parce que tu n’as pas refusé ton fils unique, alors je te bénirai de bénédiction et je multiplierai beaucoup ta descendance comme les étoiles des cieux et comme le sable au bord de la mer ». Abraham retourna à ses jeunes, ils se levèrent et allèrent ensemble à Beer-Cheva.
Je voudrais intégrer ici un Pizmon ETE CHAARE RATSON (texte poétique) sépharade chanté à Roch Hachana avant la sonnerie du Chofar et qui apporte un éclairage complémentaire au texte biblique :
(Après le premier ordre de Dieu « Koum, Haaléou li léola) … Abraham dit à Sarah :« Amar le Sarah ki Hamoudekh Itzhak gadal vé lo lamad avoudat chahak, élékh vé oréou acher lo El hak » (Ton chéri Isaac a grandi mais n’a pas appris le culte à Dieu. J’irai et je lui montrerai son devoir). Sarah : “Amra : Lékha adon aval al tirhak ». Abraham : “ Ana yehi libekh be El botéah” (Elle dit : « Vas, maître, mais ne t’éloigne pas ». Il répondit ; « Que ton cœur soit confiant en Dieu »).
Ils s’avancent, et au troisième jour : Question d’Isaac à Abraham : « Où est l’agneau ? As-tu en ce jour oublié ta Loi ? » Abraham répondit : « Notre refuge est dans le Dieu vivant. Il pourvoira à l’agneau pour le sacrifice. Sache que Dieu fait tout ce qu’Il veut. Nous construirons, mon fils, un trône pour Lui ».
Ils frappèrent aux portes de la grâce, le fils pour être sacrifié et le père pour sacrifier. Il (Abraham) prépara le bois du sacrifice avec vigueur et tremblement. Il lia Isaac comme on lie un bélier, et leurs yeux s’obscurcirent, des larmes s’échappèrent en torrents, l’œil pleurant amèrement et le cœur joyeux.
Isaac : « Dîtes à ma mère que son bonheur n’est plus ; le fils qui lui est né à 90 ans est devenu la proie du feu et du couteau. Où trouver sa consolation ? Je souffre de tes pleurs, ma mère, et de tes plaintes. Devant le couteau ma langue balbutie, prends soin de l’aiguiser, mon père, et de serrer mes liens, prends avec toi le reste de mes cendres, et dis à Sarah voilà l’odeur (âme) d’Isaac ».
Mais tous les anges de la Mercaba s’émurent, les Ophanim et les Seraphins vinrent supplier Dieu, pour Isaac chef d’armée : « Accepte, je t’en supplie une rançon, le monde ne doit pas perdre un astre si beau ». Le maître des cieux dit à Abraham : « Ne brandis pas ton bras contre un des trois Pères. Repartez en paix Anges du camp céleste, des enfants de Jacob j’effacerai les fautes. »
Ce Pizmon a, selon moi, donné une présence à Sarah, alors qu’elle n’est aucunement citée dans l’épisode biblique. Il y est dit seulement qu’elle mourut aussitôt après.
La Akedat Itzhak selon le hassidisme ashkénaze du 12ème siècle
Plusieurs textes et pioutim du 12ème siècle [2] comparent les massacres des communautés juives rhénanes par les croisés à la Akédat Itzhak, (sauf qu’ici aucun ange n’est venu arrêter les tueries !). La comparaison est poussée encore plus loin puisque certaines communautés ont préféré mourir pour le « Kidouch Hachem » (sanctification du Nom) plutôt que transgresser les commandements.
Surtout il est dit que la question posée par Isaac à Abraham à l’approche du Moria (« Où est la victime pour le sacrifice ? ») montre qu’il se doute que cela pourrait être lui-même et qu’il a peur. Le Midrach rabba est encore plus clair : Isaac a fini par comprendre l’absence d’agneau alors que tout est prêt pour le sacrifice, le couteau et le bois pour le bucher. Il comprend alors ce qui l’attend, bien qu’Abraham ne lui en ait rien dit. C’est pourquoi il a peur. Et les anges pleurent …de peur. Relevons ici que le qualificatif le plus souvent attaché à Isaac dans la liturgie juive est la peur. Ne dit-on pas « Oufahad Itzhak » ? Je ne sais pas quelle est la source de cet étrange qualificatif et la raison de le faire commencer par « Ou » c’est-à-dire « Et » : « Et Isaac a eu peur ». La crainte en tout cas s’accompagne de tremblement pour Kierkegaard. L’angoisse est présente et se manifeste physiquement.
On remarque en outre qu’Isaac, après la substitution du bélier, ne revient pas avec Abraham : celui-ci d’ailleurs va à Beer-Cheva. Retourne-t-il prés de Sarah ? Où Isaac est-il allé après la ligature ? On (on : Satan ?) aurait annoncé alors à Sarah qu’Isaac avait été sacrifié, ce qui la fait mourir de douleur. La Bible ne donne aucune précision de ce type. Rachi pour sa part donne une interprétation sensible et plausible de la mort de Sarah : « La mort de Sarah suit immédiatement le récit de la ligature d’Isaac. En apprenant que son enfant avait été lié sur l’autel, qu’il était prêt à être immolé et peu s’en fallut qu’il le fût, son âme l’a quittée et elle en est morte ».

La akedat Itzhak selon Maïmonide (le Rambam)[3].
Maïmonide rejette la thèse des Moutazilim, secte musulmane rigoriste, selon laquelle tout serait le résultat de la volonté de Dieu omniscient. Pour lui le déterminisme divin laisse de la place au libre arbitre humain. C’est le cas dans la Akedat Itzhak, à rattacher également à ses théories sur le prophétisme.
Selon Maïmonide, dans le Guide de Égarés (Verdier Ed 1989, p 495) les deux commandements de la Akéda – de sacrifier Isaac, puis de l’épargner – correspondent à une prophétie, le message divin étant reçu intérieurement par Abraham. Cela aurait commencé comme un songe lors du premier ordre de Dieu, pour se terminer par une vision lors du second ordre et de la substitution du bélier.
Le Rambam écrit que tout se passe dans la tête d’Abraham, où se mêlent, dit-il, amour et crainte de Dieu, la crainte étant dominante. Non pas la crainte d’une sanction, telle que perdre lui-même la vie s’il ne se pliait pas à l’injonction divine, mais une crainte absolue, mystique, lui valant la qualité de « craignant Dieu ». Ce qui fut confirmé ensuite par l’ange de Dieu, qui, après la substitution du bélier, lui dit : « Car maintenant j’ai reconnu que tu crains Dieu et ne m’as pas refusé ton fils ». Pour Maïmonide, l’ensemble de la Loi (Torah) avec ce qu’elle renferme d’ordres, de défenses, de promesses et de narrations, n’a pour but qu’une seule chose, qui est la crainte de Dieu. (Ibid., p 496)
Dans le Guide des Égarés Maïmonide pose en fait la question d’une erreur de compréhension par Abraham liée à la perception de l’ordre de Dieu dans un songe. L’ordre de Dieu est dans sa conscience et l’obéissance à cet ordre est exemplaire. « Tout ce que le prophète voit dans la vision prophétique est pour lui réel et certain….et il le considère à l’instar de toutes les choses réelles, perçues par les sens et l’intelligence ». L’épreuve d’Abraham a sa source dans la volonté de Dieu telle que lui, Abraham, la comprend. La Akedat Itzhak comporte bien un message moral et éducatif. Mais pour le Rambam, elle appelle d’abord à une compréhension du vécu d’Abraham, fait de crainte et d’amour.[4] C’est ce qui apparait dans le passage du Guide des Égarés consacré à la Akedat Itzhak. Le Rambam distingue deux grandes idées qui sont fondamentales dans la religion (« le vrai sens des épreuves »). « La première est de nous faire savoir jusqu’à quelle limite doivent s’étendre l’amour et la crainte de Dieu. La seconde est de nous faire savoir que les prophètes doivent prendre pour réel ce que la révélation leur apporte de la part de Dieu » même si elle correspond à un songe ou à une vision ».
Maïmonide rejette la thèse des Moutazilim, secte musulmane rigoriste, selon laquelle tout serait le résultat de la volonté de Dieu omniscient. Pour lui le déterminisme divin laisse de la place au libre arbitre humain. C’est le cas dans la Akedat Itzhak, à rattacher également à ses théories sur le prophétisme.
Selon Maïmonide, dans le Guide de Égarés (Verdier Ed 1989, p 495) les deux commandements de la Akéda – de sacrifier Isaac, puis de l’épargner – correspondent à une prophétie, le message divin étant reçu intérieurement par Abraham. Cela aurait commencé comme un songe lors du premier ordre de Dieu, pour se terminer par une vision lors du second ordre et de la substitution du bélier.
Le Rambam écrit que tout se passe dans la tête d’Abraham, où se mêlent, dit-il, amour et crainte de Dieu, la crainte étant dominante. Non pas la crainte d’une sanction, telle que perdre lui-même la vie s’il ne se pliait pas à l’injonction divine, mais une crainte absolue, mystique, lui valant la qualité de « craignant Dieu ». Ce qui fut confirmé ensuite par l’ange de Dieu, qui, après la substitution du bélier, lui dit : « Car maintenant j’ai reconnu que tu crains Dieu et ne m’as pas refusé ton fils ». Pour Maïmonide, l’ensemble de la Loi (Torah) avec ce qu’elle renferme d’ordres, de défenses, de promesses et de narrations, n’a pour but qu’une seule chose, qui est la crainte de Dieu. (Ibid., p 496)
Dans le Guide des Égarés Maïmonide pose en fait la question d’une erreur de compréhension par Abraham liée à la perception de l’ordre de Dieu dans un songe. L’ordre de Dieu est dans sa conscience et l’obéissance à cet ordre est exemplaire. « Tout ce que le prophète voit dans la vision prophétique est pour lui réel et certain….et il le considère à l’instar de toutes les choses réelles, perçues par les sens et l’intelligence ». L’épreuve d’Abraham a sa source dans la volonté de Dieu telle que lui, Abraham, la comprend. La Akedat Itzhak comporte bien un message moral et éducatif. Mais pour le Rambam, elle appelle d’abord à une compréhension du vécu d’Abraham, fait de crainte et d’amour.[4] C’est ce qui apparait dans le passage du Guide des Égarés consacré à la Akedat Itzhak. Le Rambam distingue deux grandes idées qui sont fondamentales dans la religion (« le vrai sens des épreuves »). « La première est de nous faire savoir jusqu’à quelle limite doivent s’étendre l’amour et la crainte de Dieu. La seconde est de nous faire savoir que les prophètes doivent prendre pour réel ce que la révélation leur apporte de la part de Dieu » même si elle correspond à un songe ou à une vision ».

La Akedat Itzhak selon le Zohar [5]
Le Zohar compare la montée vers le Moria à une ascension spirituelle. Abraham, entré en Canaan, avait construit une succession d’autels à Dieu. La ligature d’Isaac sur le Moria est l’étape la plus élevée et est nécessaire pour réaliser complètement la volonté de Dieu. Si Abraham s’était rebellé contre l’ordre de Dieu de sacrifier Isaac, toute la création aurait été compromise. Pour cela Dieu a besoin de l’homme. Cela s’applique particulièrement à Abraham : son succès consacrait le succès de tout l’univers et, à l’inverse son échec pouvait aboutir au retour au Tohou vaBohou (Tohu-Bohu) originaire. La terre avait été maudite par la faute d’Adam. C’est Abraham par la Akeda qui rendit possible, avec Dieu, la réparation du monde (Tikoun Olam).
Le Zohar comporte une description des séphiroth, émanations divines disposées sur la figuration d’un arbre ou d’un corps humain. Il positionne dans cette figuration Abraham à droite, en le qualifiant de Hessed - grâce ou amour-, et Isaac à gauche, qualifié de Din, - jugement, sévérité-. Il y a une tension entre les deux. Mais la sephira Tif’eret, où siège Jacob, au centre de l’arbre et plus bas, est accessible par le « chemin d’or » et grâce à elle, l’harmonie peut être rétablie. Lors de l’épreuve de la ligature, à la suite de l’ordre de Dieu, Abraham se transforme en un être cruel. La force de Dieu prend toute sa puissance. Isaac pour sa part est muet de terreur et s’écrie : « Père ! ». Selon le Zohar, cette parole est suivie d’un manque : il ne dit rien de plus, ne demande rien. C’est que quelque chose a changé dans l’aspect d’Abraham, quelque chose qui rend Isaac muet. L’équilibre est rétabli grâce à Jacob, qualifié de Rahamim (miséricorde).
Abraham avait commis une faute en faisant un grand festin lors du sevrage d’Isaac « sans sacrifier même une colombe à Dieu ». Alors Dieu décida du sacrifice d’Isaac. Mais la Akeda fut aussi une mise à l’épreuve de celui-ci. Cette épreuve lui fut même plus difficile que celle d’Abraham car il eut à dominer son désir de vivre. Malgré sa peur de mourir il ne se rebella pas contre son père. Ce fut une épreuve conjointe pour tous les deux. L’équilibre entre Abraham et Isaac est apporté par Jacob-Rahamim. Et les trois pères ensemble réparent le monde.
Jusqu’à la Akeda, Abraham symbolise les forces d’amour et de grâce. L’histoire de la Akeda est donc source d’étonnement pour le Zohar. « Qui a vu un père aimant se transformer en être cruel ? ».[6] Abraham subit, en chemin vers la Akeda, une transformation extrême : La force de Hessed n’est plus dominante dans son être. La force du Din-jugement prend toute sa puissance. Le tremblement et l’effroi le saisissent, déformant son visage et il ne regarde plus Isaac comme son fils. Mais Il est écrit qu’au troisième jour Abraham leva son regard et vit au loin Jacob issu de lui pour poursuivre sa descendance.
Le Zohar compare la montée vers le Moria à une ascension spirituelle. Abraham, entré en Canaan, avait construit une succession d’autels à Dieu. La ligature d’Isaac sur le Moria est l’étape la plus élevée et est nécessaire pour réaliser complètement la volonté de Dieu. Si Abraham s’était rebellé contre l’ordre de Dieu de sacrifier Isaac, toute la création aurait été compromise. Pour cela Dieu a besoin de l’homme. Cela s’applique particulièrement à Abraham : son succès consacrait le succès de tout l’univers et, à l’inverse son échec pouvait aboutir au retour au Tohou vaBohou (Tohu-Bohu) originaire. La terre avait été maudite par la faute d’Adam. C’est Abraham par la Akeda qui rendit possible, avec Dieu, la réparation du monde (Tikoun Olam).
Le Zohar comporte une description des séphiroth, émanations divines disposées sur la figuration d’un arbre ou d’un corps humain. Il positionne dans cette figuration Abraham à droite, en le qualifiant de Hessed - grâce ou amour-, et Isaac à gauche, qualifié de Din, - jugement, sévérité-. Il y a une tension entre les deux. Mais la sephira Tif’eret, où siège Jacob, au centre de l’arbre et plus bas, est accessible par le « chemin d’or » et grâce à elle, l’harmonie peut être rétablie. Lors de l’épreuve de la ligature, à la suite de l’ordre de Dieu, Abraham se transforme en un être cruel. La force de Dieu prend toute sa puissance. Isaac pour sa part est muet de terreur et s’écrie : « Père ! ». Selon le Zohar, cette parole est suivie d’un manque : il ne dit rien de plus, ne demande rien. C’est que quelque chose a changé dans l’aspect d’Abraham, quelque chose qui rend Isaac muet. L’équilibre est rétabli grâce à Jacob, qualifié de Rahamim (miséricorde).
Abraham avait commis une faute en faisant un grand festin lors du sevrage d’Isaac « sans sacrifier même une colombe à Dieu ». Alors Dieu décida du sacrifice d’Isaac. Mais la Akeda fut aussi une mise à l’épreuve de celui-ci. Cette épreuve lui fut même plus difficile que celle d’Abraham car il eut à dominer son désir de vivre. Malgré sa peur de mourir il ne se rebella pas contre son père. Ce fut une épreuve conjointe pour tous les deux. L’équilibre entre Abraham et Isaac est apporté par Jacob-Rahamim. Et les trois pères ensemble réparent le monde.
Jusqu’à la Akeda, Abraham symbolise les forces d’amour et de grâce. L’histoire de la Akeda est donc source d’étonnement pour le Zohar. « Qui a vu un père aimant se transformer en être cruel ? ».[6] Abraham subit, en chemin vers la Akeda, une transformation extrême : La force de Hessed n’est plus dominante dans son être. La force du Din-jugement prend toute sa puissance. Le tremblement et l’effroi le saisissent, déformant son visage et il ne regarde plus Isaac comme son fils. Mais Il est écrit qu’au troisième jour Abraham leva son regard et vit au loin Jacob issu de lui pour poursuivre sa descendance.

La Akedat Itzhak selon Don Isaac Abravanel [7]
Abravanel admirait le Rambam mais contestait sa position rationaliste, en particulier ses théories sur la vision prophétique : selon Abravanel le prophétisme ne serait pas réservé aux hommes les plus intelligents et maîtres d’eux-mêmes mais pourrait être attribué par Dieu à toute personne, même les plus simples. Pour lui les voix entendues par Abraham étaient réelles et non imaginaires et exprimaient la vraie volonté de Dieu. Il commence son commentaire sur la Akedat Itzhak par une déclaration : « Cette paracha représente tout le trésor d’Israël ».
Il pose ensuite 15 questions, et ses réponses représentent l’essentiel de sa foi :
Questions relatives à Dieu : 1) Quel est le but de Dieu dans la Akeda ? 2) Est-ce Dieu qui a ordonné la ligature d’Isaac ? 3) « Ki ata iadaati. (car maintenant j’ai su) ; » Est-ce qu’auparavant Dieu ne savait pas ? 4) Est-il possible que la volonté de Dieu ait changé (entre le 1er et le 2ème ordre) ?
Questions relatives à Abraham : 1) Est-ce que le but de la Akeda était « de soumettre Abraham à l’épreuve » ? 2) Si oui, de quelle épreuve s’agissait-il ? 3) Était-il nécessaire de soumettre Abraham à une nouvelle épreuve (car il en avait déjà subi plusieurs) ?
4) Abraham a-t-il compris le (premier) ordre de Dieu ? 5) Peut-on supposer que c’est Abraham lui-même qui était la source de l’ordre ? 6) Peut-on envisager que le but de cet ordre était de punir Abraham ? Si oui, de quoi ?
Questions relatives à Isaac : 1) Est-ce que le but de la ligature était « d’éduquer » Isaac ?
2) Ou de lui faire expier ses péchés ? 3) Est-ce que la ligature a été jusqu’à son but ? Id est Isaac a-t-il été immolé ? 4) Si la ligature n’est pas allée à son terme, où Isaac a-t-il disparu ? Pourquoi n’est-il pas descendu de la montagne avec Abraham ? 5) Qui est Isaac après la ligature ? Qu’est-ce qui a changé en lui ?
Ces questions traduisent à mon sens un véritable esprit scientifique chez Abravanel. La première (le but de Dieu dans la Akeda) est la plus importante pour lui, et il a tenté d’y répondre. Rappelons que c’est présenté comme une mise à l’épreuve d’Abraham (Nissa ét Abraham). Pour Abravanel Dieu ne voulait pas qu’Abraham sacrifie Isaac mais voulait savoir ce qu’il comprendrait et jusqu’où il irait. Autrement dit, l’ordre de Dieu était (volontairement) ambigu (Heeléou le ola : « fais-le monter pour le sacrifier », ou « fais-le monter pour le sacrifice - d’un animal » ?). Dieu voulait savoir ce qu’Abraham comprendrait, et Abraham est tombé dans le piège (interprétation d’un Rav Iona adoptée par Abravanel). Dieu a joué sur les mots (Rav Lévy) : « Leola » plutôt que « baavour Ola ». Le deuxième ordre, émis par l’ange, avait donc pour but de corriger l’erreur d’Abraham.
En outre, pour Abravanel, pour faire d’Isaac le père de la Ouma (nation), il fallait l’amener aux portes de la mort, ou encore « circoncire son cœur » en le libérant des forces de la nature auxquelles sont asservis les autres peuples. La Akédat Itzhak avait ainsi la capacité de faire expier la faute d’Adam, trop enclin aux appâts matériels. Or quoi de plus effrayant que d’être face aux portes de la mort ?
Abravanel admirait le Rambam mais contestait sa position rationaliste, en particulier ses théories sur la vision prophétique : selon Abravanel le prophétisme ne serait pas réservé aux hommes les plus intelligents et maîtres d’eux-mêmes mais pourrait être attribué par Dieu à toute personne, même les plus simples. Pour lui les voix entendues par Abraham étaient réelles et non imaginaires et exprimaient la vraie volonté de Dieu. Il commence son commentaire sur la Akedat Itzhak par une déclaration : « Cette paracha représente tout le trésor d’Israël ».
Il pose ensuite 15 questions, et ses réponses représentent l’essentiel de sa foi :
Questions relatives à Dieu : 1) Quel est le but de Dieu dans la Akeda ? 2) Est-ce Dieu qui a ordonné la ligature d’Isaac ? 3) « Ki ata iadaati. (car maintenant j’ai su) ; » Est-ce qu’auparavant Dieu ne savait pas ? 4) Est-il possible que la volonté de Dieu ait changé (entre le 1er et le 2ème ordre) ?
Questions relatives à Abraham : 1) Est-ce que le but de la Akeda était « de soumettre Abraham à l’épreuve » ? 2) Si oui, de quelle épreuve s’agissait-il ? 3) Était-il nécessaire de soumettre Abraham à une nouvelle épreuve (car il en avait déjà subi plusieurs) ?
4) Abraham a-t-il compris le (premier) ordre de Dieu ? 5) Peut-on supposer que c’est Abraham lui-même qui était la source de l’ordre ? 6) Peut-on envisager que le but de cet ordre était de punir Abraham ? Si oui, de quoi ?
Questions relatives à Isaac : 1) Est-ce que le but de la ligature était « d’éduquer » Isaac ?
2) Ou de lui faire expier ses péchés ? 3) Est-ce que la ligature a été jusqu’à son but ? Id est Isaac a-t-il été immolé ? 4) Si la ligature n’est pas allée à son terme, où Isaac a-t-il disparu ? Pourquoi n’est-il pas descendu de la montagne avec Abraham ? 5) Qui est Isaac après la ligature ? Qu’est-ce qui a changé en lui ?
Ces questions traduisent à mon sens un véritable esprit scientifique chez Abravanel. La première (le but de Dieu dans la Akeda) est la plus importante pour lui, et il a tenté d’y répondre. Rappelons que c’est présenté comme une mise à l’épreuve d’Abraham (Nissa ét Abraham). Pour Abravanel Dieu ne voulait pas qu’Abraham sacrifie Isaac mais voulait savoir ce qu’il comprendrait et jusqu’où il irait. Autrement dit, l’ordre de Dieu était (volontairement) ambigu (Heeléou le ola : « fais-le monter pour le sacrifier », ou « fais-le monter pour le sacrifice - d’un animal » ?). Dieu voulait savoir ce qu’Abraham comprendrait, et Abraham est tombé dans le piège (interprétation d’un Rav Iona adoptée par Abravanel). Dieu a joué sur les mots (Rav Lévy) : « Leola » plutôt que « baavour Ola ». Le deuxième ordre, émis par l’ange, avait donc pour but de corriger l’erreur d’Abraham.
En outre, pour Abravanel, pour faire d’Isaac le père de la Ouma (nation), il fallait l’amener aux portes de la mort, ou encore « circoncire son cœur » en le libérant des forces de la nature auxquelles sont asservis les autres peuples. La Akédat Itzhak avait ainsi la capacité de faire expier la faute d’Adam, trop enclin aux appâts matériels. Or quoi de plus effrayant que d’être face aux portes de la mort ?

La akedat Itzhak selon le Rav Lévy Itzhak de Braditchev (le Rali)[8]
Le Rali souligne la contradiction du premier « Lekh lekha » (Gen 12 ;1): Abraham est plongé dans la perplexité devant cet ordre divin : était-ce à lui d’aller « vers lui-même », (ou de lui-même) ou devait-il aller vers le lieu que Dieu lui indiquerait ? Cette contradiction persiste dans le deuxième Lekh lekha lors de l’ordre d’aller avec Isaac vers le Moria : il ne s’agit pas seulement d’un problème géographique, mais il est demandé à Abraham de découvrir son identité.[9] Le Lekh lekha signifierait : trouve la racine de ton âme, la sefira Hessed, en ramenant à la lumière les étincelles dispersées en Erets Kenaan.
Pour le Rali, Abraham obéit à l’ordre divin par crainte plus que par amour. Il est muet de peur et perd toute autonomie, contrairement à son attitude envers la menace de détruire Sodome et Gomorrhe. Il ne parvient pas à l’abnégation dont la source est l’amour. Il est plutôt pris de crainte, une crainte d’ordre mystique. C’est ce qui l’amène à l’effacement de son auto-détermination devant la volonté de Dieu. Son corps continue à vivre, mais son âme et sa conscience sont à Dieu. C’est pourquoi, contrairement à certaines versions, il ne pleure pas, ce sont les anges qui pleurent.
Mais pourquoi Abraham ne s’est-il pas opposé à l’ordre de Dieu, comme il a tenté de le faire pour Sodome et Gomorrhe ? Il fut pourtant le premier à s’élever contre des décisions qu’il considérait comme injustes. Pourquoi n’a-t-il pas tenté de le faire, s’agissant de son fils, un juste, car rien ne pouvait lui être reproché ? Pour le Rali, la clé est quand il dit aux deux serviteurs de rester en bas de la montagne, tandis que lui et Isaac vont monter : « Moi et le jeune nous irons jusque là-bas, nous nous prosternerons, et nous reviendrons vers vous ». Il va se prosterner. Il va obéir à l’ordre divin (Guezera) par crainte (Yera), et perd toute autonomie devant la volonté de Dieu. Selon le Rali, Abraham ne revient pas entier du Har haMoriah, mais prosterné, tous jugements effacés. Par la Akeda, il a cependant rendu possible l’union harmonieuse entre la grâce/Hesed (Abraham) et le Din-jugement (Isaac), menant à la naissance de Jacob (Rahamim) et à l’union du peuple d’Israël avec le créateur.
Le Rali souligne la contradiction du premier « Lekh lekha » (Gen 12 ;1): Abraham est plongé dans la perplexité devant cet ordre divin : était-ce à lui d’aller « vers lui-même », (ou de lui-même) ou devait-il aller vers le lieu que Dieu lui indiquerait ? Cette contradiction persiste dans le deuxième Lekh lekha lors de l’ordre d’aller avec Isaac vers le Moria : il ne s’agit pas seulement d’un problème géographique, mais il est demandé à Abraham de découvrir son identité.[9] Le Lekh lekha signifierait : trouve la racine de ton âme, la sefira Hessed, en ramenant à la lumière les étincelles dispersées en Erets Kenaan.
Pour le Rali, Abraham obéit à l’ordre divin par crainte plus que par amour. Il est muet de peur et perd toute autonomie, contrairement à son attitude envers la menace de détruire Sodome et Gomorrhe. Il ne parvient pas à l’abnégation dont la source est l’amour. Il est plutôt pris de crainte, une crainte d’ordre mystique. C’est ce qui l’amène à l’effacement de son auto-détermination devant la volonté de Dieu. Son corps continue à vivre, mais son âme et sa conscience sont à Dieu. C’est pourquoi, contrairement à certaines versions, il ne pleure pas, ce sont les anges qui pleurent.
Mais pourquoi Abraham ne s’est-il pas opposé à l’ordre de Dieu, comme il a tenté de le faire pour Sodome et Gomorrhe ? Il fut pourtant le premier à s’élever contre des décisions qu’il considérait comme injustes. Pourquoi n’a-t-il pas tenté de le faire, s’agissant de son fils, un juste, car rien ne pouvait lui être reproché ? Pour le Rali, la clé est quand il dit aux deux serviteurs de rester en bas de la montagne, tandis que lui et Isaac vont monter : « Moi et le jeune nous irons jusque là-bas, nous nous prosternerons, et nous reviendrons vers vous ». Il va se prosterner. Il va obéir à l’ordre divin (Guezera) par crainte (Yera), et perd toute autonomie devant la volonté de Dieu. Selon le Rali, Abraham ne revient pas entier du Har haMoriah, mais prosterné, tous jugements effacés. Par la Akeda, il a cependant rendu possible l’union harmonieuse entre la grâce/Hesed (Abraham) et le Din-jugement (Isaac), menant à la naissance de Jacob (Rahamim) et à l’union du peuple d’Israël avec le créateur.

La Akedat Itzhak selon le rav Chimchon Raphaël Hirsch (le Racher Hirsch)
Le Racher Hirsch opposa à Abraham aleph, homme de morale, qui discute avec Dieu sur le sort de Sodome et Gomorrhe (car la justice s’impose non seulement à l’homme mais à Dieu lui-même), à Abraham beth, homme de foi. Pourquoi Abraham beth se tait devant l’ordre de Dieu de sacrifier son fils Isaac ? C’est expliqué par la façon dont l’ordre est formulé : « Prends, s’il te plait (kah na), ton fils unique, que tu as aimé… ». Il se serait rebellé si l’ordre avait été formulé différemment. Tel que formulé par Dieu, le sacrifice d’Isaac serait, non un meurtre, mais une libération spirituelle. Dieu lui demande de dépasser l’amour de son fils. Et Abraham est persuadé que le sacrifice d’Isaac permettrait à celui-ci d’accéder à la transcendance spirituelle, impossible dans le monde d’Ici-Bas, et d’atteindre le bonheur en détachant l’âme du corps. Il conduit son fils au sacrifice par relation d’amour, sur laquelle Dieu insiste. Il accepte totalement l’ordre de Dieu comme la réalisation d’un but qu’il ignorait jusque-là. Le Racher Hirsch note, comme Kierkegaard, qu’Abraham écarte la voie de la raison et de la morale. La seule voix qu’il entend est celle de Dieu.
Ce n’est cependant pas sans combat intérieur qu’Abraham conduit son fils au sacrifice. Il l’épargne le plus longtemps possible. Il a pris les deux jeunes pour ne pas rester seul avec lui. Pendant les trois jours de chemin il se tait. Dans tout le chemin vers le Moria, il est partagé entre la crainte et l’espérance que son fils soit sauvé. Il ne parle à Isaac que pour répondre à sa question (où est-l’agneau ?) de façon allusive. Il craignait non seulement ce qui allait arriver, mais qu’Isaac l’apprenne de lui. Il regarde chaque montagne dans la peur et la souffrance, et le troisième jour, il voit le lieu qu’il craignait.
Vient le moment du sacrifice. Selon Berechit Raba, Isaac, âgé de 37 ans lors de la Akeda, pouvait facilement neutraliser son père, un vieillard, qui avait déjà cent ans lors de sa paternité miraculeuse. Mais, de crainte qu’Abraham défaille, il va plutôt l’encourager : « Père, je suis jeune et mon corps risque de se rebeller devant le couteau, et tu n’arriverais pas à me sacrifier. Ligote-moi bien ». Pourtant Isaac n’a pas reçu l’ordre divin, son seul intermédiaire étant Abraham. Mais il a compris et acquiesce au projet. Vient ensuite le cri de l’ange : « Abraham, Abraham ! ». Deux fois. Une seule fois n’aurait pas suffi, car Abraham était trop pris par l’action. A noter que l’ordre initial (de sacrifier Isaac) émanait de Dieu, alors que l’ordre de l’épargner venait d’un ange. Un ange suffisait, car cet ordre correspondait à ce qu’Abraham espérait.
Dans ce texte très vivant et sensible, le Racher Hirsch s’oppose aux partisans des Lumières pour qui la grandeur du texte tenait uniquement dans l’ordre de l’ange le libérant de cette culture religieuse cruelle. Le Racher Hirsch, comme Kierkegaard son contemporain, écarte la voie de la raison et de la morale. Pour lui la morale n’est pas la valeur suprême, mais plutôt la crainte de Dieu, et c’est cette crainte ressentie par Abraham qui, in fine, sauve Isaac. C’est bien ce qui est exprimé par l’ange à la suite de l’ordre d’arrêter le sacrifice d’Itzhak : « car maintenant j’ai compris que tu crains Dieu » …… « et tu n’as pas épargné ton fils unique… ».
Le Racher Hirsch opposa à Abraham aleph, homme de morale, qui discute avec Dieu sur le sort de Sodome et Gomorrhe (car la justice s’impose non seulement à l’homme mais à Dieu lui-même), à Abraham beth, homme de foi. Pourquoi Abraham beth se tait devant l’ordre de Dieu de sacrifier son fils Isaac ? C’est expliqué par la façon dont l’ordre est formulé : « Prends, s’il te plait (kah na), ton fils unique, que tu as aimé… ». Il se serait rebellé si l’ordre avait été formulé différemment. Tel que formulé par Dieu, le sacrifice d’Isaac serait, non un meurtre, mais une libération spirituelle. Dieu lui demande de dépasser l’amour de son fils. Et Abraham est persuadé que le sacrifice d’Isaac permettrait à celui-ci d’accéder à la transcendance spirituelle, impossible dans le monde d’Ici-Bas, et d’atteindre le bonheur en détachant l’âme du corps. Il conduit son fils au sacrifice par relation d’amour, sur laquelle Dieu insiste. Il accepte totalement l’ordre de Dieu comme la réalisation d’un but qu’il ignorait jusque-là. Le Racher Hirsch note, comme Kierkegaard, qu’Abraham écarte la voie de la raison et de la morale. La seule voix qu’il entend est celle de Dieu.
Ce n’est cependant pas sans combat intérieur qu’Abraham conduit son fils au sacrifice. Il l’épargne le plus longtemps possible. Il a pris les deux jeunes pour ne pas rester seul avec lui. Pendant les trois jours de chemin il se tait. Dans tout le chemin vers le Moria, il est partagé entre la crainte et l’espérance que son fils soit sauvé. Il ne parle à Isaac que pour répondre à sa question (où est-l’agneau ?) de façon allusive. Il craignait non seulement ce qui allait arriver, mais qu’Isaac l’apprenne de lui. Il regarde chaque montagne dans la peur et la souffrance, et le troisième jour, il voit le lieu qu’il craignait.
Vient le moment du sacrifice. Selon Berechit Raba, Isaac, âgé de 37 ans lors de la Akeda, pouvait facilement neutraliser son père, un vieillard, qui avait déjà cent ans lors de sa paternité miraculeuse. Mais, de crainte qu’Abraham défaille, il va plutôt l’encourager : « Père, je suis jeune et mon corps risque de se rebeller devant le couteau, et tu n’arriverais pas à me sacrifier. Ligote-moi bien ». Pourtant Isaac n’a pas reçu l’ordre divin, son seul intermédiaire étant Abraham. Mais il a compris et acquiesce au projet. Vient ensuite le cri de l’ange : « Abraham, Abraham ! ». Deux fois. Une seule fois n’aurait pas suffi, car Abraham était trop pris par l’action. A noter que l’ordre initial (de sacrifier Isaac) émanait de Dieu, alors que l’ordre de l’épargner venait d’un ange. Un ange suffisait, car cet ordre correspondait à ce qu’Abraham espérait.
Dans ce texte très vivant et sensible, le Racher Hirsch s’oppose aux partisans des Lumières pour qui la grandeur du texte tenait uniquement dans l’ordre de l’ange le libérant de cette culture religieuse cruelle. Le Racher Hirsch, comme Kierkegaard son contemporain, écarte la voie de la raison et de la morale. Pour lui la morale n’est pas la valeur suprême, mais plutôt la crainte de Dieu, et c’est cette crainte ressentie par Abraham qui, in fine, sauve Isaac. C’est bien ce qui est exprimé par l’ange à la suite de l’ordre d’arrêter le sacrifice d’Itzhak : « car maintenant j’ai compris que tu crains Dieu » …… « et tu n’as pas épargné ton fils unique… ».

LA AKEDAT ITZHAK SELON LE RAV ABRAHAM ITZHAK HACOHEN KOOK (le Rav Kook).[11]
Pour le Rav Kook l’ordre de Dieu, même s’il est assorti d’un Na (S’il te plait) est une exigence stupéfiante, inattendue pour Abraham. Aussi c’est dans la crainte et le tremblement (mêmes mots que Kierkegaard) qu’Abraham se lève le matin, prêt à sacrifier son fils. Il n’est plus lié aux normes sociales et morales de ce bas monde (Olam hazé). Comme Kierkegaard, le Rav Kook prône l’individualisme. Mais, à la différence de Kierkegaard qui parle de la solitude d’Abraham, le Rav Kook insiste sur l’union d’Abraham et Isaac. « Vayelkhou chneihem yahdav » : ils marchèrent ensemble, tous les deux seuls, une marche conjointe corporelle ou plutôt une communauté spirituelle vers le but, une ascension spirituelle libérée du corps.
Quand on dit Oufahad Itzhak, on n’entendrait pas la crainte ressentie par Isaac du danger proche, mais son sentiment que l’ascension spirituelle va se réaliser, une hâte pour voir le divin.[12] La crainte ici, profondément liée à l’amour, est différente de la peur. L’ange soulignera à la fin qu’Abraham, soumis à l’épreuve, a sauvé son fils car il s’est montré « craignant Dieu » (Yeré Elohim)
Le Rav Kook s’oppose cependant à la conception de Kierkegaard selon laquelle, lors de la Akeda , Abraham parviendrait à une expérience mystique par-delà les lois usuelles de la morale, jusqu’à sacrifier son fils : il ne lui appartient pas de briser ces chaines, il doit plutôt découvrir son moi et aussi le divin. Dieu le met à l’épreuve pour l’amener à se libérer de toutes les chaines humaines et à parvenir à la lumière sainte. Le Lekh lekha (Va vers toi) implique de rompre toutes les obligations, permettant à Abraham, libre de tout, de rencontrer Dieu. La réponse d’Abraham à l’injonction divine (« Me voici ») correspond à un dévoilement du moi. Dans tout homme il y a un trésor qu’il n’est pas facile de dévoiler. Seul Abraham est capable de parvenir à ce dévoilement intérieur, et de répondre à l’appel divin par un : « Me voici ». Une expérience accompagnée d’un tremblement saint, d’une « nudité ». Dans le « Kah na », (prends, s’il te plait), Dieu lui laisse le choix. L’épreuve atteint le plus haut degré dans le « véhaaléou le ola » : il lui est demandé de se sacrifier lui-même en son fils, de sacrifier ses rêves, ses désirs, et, ce qui lui est le plus précieux, son futur.
Puis Abraham prit le bois du sacrifice et le posa sur son fils Isaac : l’un est actif, l’autre passif. Ils savent vers qui ils marchent ensemble. Ils partagent la même foi et volonté. Alors pourquoi l’attacher, en donnant l’impression qu’Isaac allait s’opposer ? Selon Kook, c’est pour compléter l’épreuve, la rendre plus difficile. « Et il prit son couteau pour immoler son fils ». Itzhak n’est plus désigné par son nom, il n’y a plus que son corps, car, selon le Rav Kook, toute son essence est intégrée à l’âme de son père. « Vaykra elav mal’akh haChem min haChamaïm » …. Et l’ange de Dieu l’appela depuis les cieux. Pourquoi l’ange et pas Dieu lui-même, alors que c’est Dieu qui avait ordonné le sacrifice ? Parce que l’ordre initial de Dieu transcendait la morale et le monde physique. Tandis que la voix de l’ange qui lui intime l’ordre d’arrêter l’y ramène.
Pour le Rav Kook la ligature d’Isaac est une rédemption (Guéoula). La distance entre le ciel et la terre est infinie, et la lumière du Dieu infini (Ein sof) ne peut résider dans le monde fini et matériel, mais l’amour d’Abraham éclaire de l’amour divin le monde limité d’Ici-bas (Olam hazé). En outre Kook (comme Kierkegaard) pense que l’amour de Dieu (de la part de Dieu et envers Dieu) est profondément lié à la crainte. Mais une crainte de Dieu différente de la peur. Le Rav Kook pense au total que la Akeda a libéré Abraham et Isaac des liens qui les attachaient au Olam Hazé et leur a permis de découvrir leur être propre en même temps que l’amour divin.
Arrêtons-nous un moment pour réfléchir. Tous ces auteurs ont vu dans l’obéissance d’Abraham le résultat de sa crainte de Dieu. Et c’est cette crainte, qui, avec l’amour, un sentiment peut-être indissociable, explique son attitude. Il obéit. Que pense-t-il pendant ces trois jours de marche vers le Moria ? A-t-il un sentiment d’injustice, d’incompréhension ? En tout cas il ne l’a pas exprimé. Pour Sodome et Gomorrhe, son objection à l’intention de Dieu de les détruire avait été pourtant formulée explicitement : « Loin de toi d’agir ainsi, de frapper l’innocent avec le coupable, les traitant tous deux de la même façon ! Loin de toi (Halila)! Le juge de toute la terre serait-il un Juge inique ? » (Gen 18 ;25). Cette fois ce ne fut pas le cas, Abraham ne dit rien ! Il s’agissait pourtant de sacrifier Isaac son fils, à qui rien ne pouvait être reproché. Ce n’est qu’après l’épisode que le Midrach Rabba imagine une récrimination d’Abraham, reprochant à Dieu ses contradictions.
Pour le Rav Kook l’ordre de Dieu, même s’il est assorti d’un Na (S’il te plait) est une exigence stupéfiante, inattendue pour Abraham. Aussi c’est dans la crainte et le tremblement (mêmes mots que Kierkegaard) qu’Abraham se lève le matin, prêt à sacrifier son fils. Il n’est plus lié aux normes sociales et morales de ce bas monde (Olam hazé). Comme Kierkegaard, le Rav Kook prône l’individualisme. Mais, à la différence de Kierkegaard qui parle de la solitude d’Abraham, le Rav Kook insiste sur l’union d’Abraham et Isaac. « Vayelkhou chneihem yahdav » : ils marchèrent ensemble, tous les deux seuls, une marche conjointe corporelle ou plutôt une communauté spirituelle vers le but, une ascension spirituelle libérée du corps.
Quand on dit Oufahad Itzhak, on n’entendrait pas la crainte ressentie par Isaac du danger proche, mais son sentiment que l’ascension spirituelle va se réaliser, une hâte pour voir le divin.[12] La crainte ici, profondément liée à l’amour, est différente de la peur. L’ange soulignera à la fin qu’Abraham, soumis à l’épreuve, a sauvé son fils car il s’est montré « craignant Dieu » (Yeré Elohim)
Le Rav Kook s’oppose cependant à la conception de Kierkegaard selon laquelle, lors de la Akeda , Abraham parviendrait à une expérience mystique par-delà les lois usuelles de la morale, jusqu’à sacrifier son fils : il ne lui appartient pas de briser ces chaines, il doit plutôt découvrir son moi et aussi le divin. Dieu le met à l’épreuve pour l’amener à se libérer de toutes les chaines humaines et à parvenir à la lumière sainte. Le Lekh lekha (Va vers toi) implique de rompre toutes les obligations, permettant à Abraham, libre de tout, de rencontrer Dieu. La réponse d’Abraham à l’injonction divine (« Me voici ») correspond à un dévoilement du moi. Dans tout homme il y a un trésor qu’il n’est pas facile de dévoiler. Seul Abraham est capable de parvenir à ce dévoilement intérieur, et de répondre à l’appel divin par un : « Me voici ». Une expérience accompagnée d’un tremblement saint, d’une « nudité ». Dans le « Kah na », (prends, s’il te plait), Dieu lui laisse le choix. L’épreuve atteint le plus haut degré dans le « véhaaléou le ola » : il lui est demandé de se sacrifier lui-même en son fils, de sacrifier ses rêves, ses désirs, et, ce qui lui est le plus précieux, son futur.
Puis Abraham prit le bois du sacrifice et le posa sur son fils Isaac : l’un est actif, l’autre passif. Ils savent vers qui ils marchent ensemble. Ils partagent la même foi et volonté. Alors pourquoi l’attacher, en donnant l’impression qu’Isaac allait s’opposer ? Selon Kook, c’est pour compléter l’épreuve, la rendre plus difficile. « Et il prit son couteau pour immoler son fils ». Itzhak n’est plus désigné par son nom, il n’y a plus que son corps, car, selon le Rav Kook, toute son essence est intégrée à l’âme de son père. « Vaykra elav mal’akh haChem min haChamaïm » …. Et l’ange de Dieu l’appela depuis les cieux. Pourquoi l’ange et pas Dieu lui-même, alors que c’est Dieu qui avait ordonné le sacrifice ? Parce que l’ordre initial de Dieu transcendait la morale et le monde physique. Tandis que la voix de l’ange qui lui intime l’ordre d’arrêter l’y ramène.
Pour le Rav Kook la ligature d’Isaac est une rédemption (Guéoula). La distance entre le ciel et la terre est infinie, et la lumière du Dieu infini (Ein sof) ne peut résider dans le monde fini et matériel, mais l’amour d’Abraham éclaire de l’amour divin le monde limité d’Ici-bas (Olam hazé). En outre Kook (comme Kierkegaard) pense que l’amour de Dieu (de la part de Dieu et envers Dieu) est profondément lié à la crainte. Mais une crainte de Dieu différente de la peur. Le Rav Kook pense au total que la Akeda a libéré Abraham et Isaac des liens qui les attachaient au Olam Hazé et leur a permis de découvrir leur être propre en même temps que l’amour divin.
Arrêtons-nous un moment pour réfléchir. Tous ces auteurs ont vu dans l’obéissance d’Abraham le résultat de sa crainte de Dieu. Et c’est cette crainte, qui, avec l’amour, un sentiment peut-être indissociable, explique son attitude. Il obéit. Que pense-t-il pendant ces trois jours de marche vers le Moria ? A-t-il un sentiment d’injustice, d’incompréhension ? En tout cas il ne l’a pas exprimé. Pour Sodome et Gomorrhe, son objection à l’intention de Dieu de les détruire avait été pourtant formulée explicitement : « Loin de toi d’agir ainsi, de frapper l’innocent avec le coupable, les traitant tous deux de la même façon ! Loin de toi (Halila)! Le juge de toute la terre serait-il un Juge inique ? » (Gen 18 ;25). Cette fois ce ne fut pas le cas, Abraham ne dit rien ! Il s’agissait pourtant de sacrifier Isaac son fils, à qui rien ne pouvait être reproché. Ce n’est qu’après l’épisode que le Midrach Rabba imagine une récrimination d’Abraham, reprochant à Dieu ses contradictions.

La ligature d’Isaac selon Abraham Joshua Heschel
Le huitième auteur proposé par Even-Hen est Abraham Joshua Heschel[13]. Heschel consacra sa vie au prophétisme. « L’identification spirituelle au Dieu d’Abraham, Isaac, et Jacob, et aux combats des prophètes est l’essence de la foi juive. » C’est mu par cette identification qu’il s’engagea contre la discrimination raciale aux côtés de Martin Luther King, puis contre la guerre au Vietnam. Sa dernière œuvre « A passion for truth » fut consacrée à la confrontation entre la ferveur dans la joie du hassidisme du Baal Chem Tov, et la recherche de la vérité sans concession exigée par le Rav Menshel Mendel de Kotsk (le « Kotzker »).
Pour Heschel, dans l’épisode de la ligature d’Isaac face au Dieu terrible (Nora) qui lui ordonne d’emmener son fils pour le sacrifice, Abraham est pris de crainte et de tremblement sacré (Heschel lecteur de Kierkegaard). Mais cette extase prophétique est en même temps amour de Dieu dans les deux sens : Dieu aime sa créature et exige en retour son amour pour la réparation du monde (Tikoun Olam). Dans les moments d’extase, seuls l’homme et Dieu existent. Les lèvres de l’homme Abraham tremblent et murmurent :
« Elohim » (Infini et Sainteté). La première parole du décalogue est « Je suis ton Dieu », et non votre Dieu. Abraham ne comprend ni la raison, ni la dureté (même si atténuée par le na du kah na) de l’ordre de Dieu. C’est une exigence qui va à l’encontre de son intuition morale profonde. Mais la gradation du Kah na montre que cet ordre est aussi difficile pour Dieu, traduisant une douleur, un pathos divin.
Abraham va marcher trois jours dans le silence et le tourbillon affectif : Amour, crainte, et tremblement. Heschel opère un rapprochement entre le Kotzker et Kierkegaard. Pour tous deux la ligature d’Isaac ouvre le chemin vers une théologie des profondeurs, la foi transcendant la morale. Heschel est attiré par la rigueur du Kotzker : celui-ci, mettait en garde contre l’enthousiasme, prônait l’écoute, le silence, l’auto-examen, et s’élevait contre la routine religieuse (« Une prière identique à celle de la veille, que vaut-elle ? »). Rigueur tragique pour certains. En tout cas Heschel s’en inspire quand il incite à se libérer de la fausseté et à s’élever au-dessus du moi. Mais le mysticisme est bien là : Fulgurance, extase. Un seul mot : Elohim.
Cependant pour Heschel, la crainte du ciel ne veut pas dire subir son joug sans contestation. Elle doit au contraire conduire le croyant à s’interroger et même à s’opposer à ce qui est contraire à son intuition morale (en cela, il s’oppose à la suspension téléologique de l’éthique défendue par Kierkegaard). Heschel écrit : « Des passages de la Mikra ne sont pas tout à fait cohérents avec nos intuitions morales profondes, et il nous appartient de nous conduire comme le fit Abraham quand il eut le courage d’interpeler Dieu lors de l’épisode de Sodome et Gomorrhe ».
Réfléchissons maintenant un moment sur ces deux dimensions d’amour et de crainte qui, pour tous ces commentateurs, expliquent l’attitude d’Abraham à la réception de l’ordre divin. L’amour, on l’a dit, était réciproque, de Dieu pour Abraham et d’Abraham pour Dieu. De quel genre d’amour s’agit-il ? On pourrait le comparer à celui, réciproque, entre un père -ou une mère- et son enfant. Avec sans doute, une dimension mystique supplémentaire. Mais surtout de quelle crainte de Dieu s’agissait-il ? Peut-être ici encore celle qu’éprouve un enfant envers son père ? Ne pourrait-on pas plutôt l’assimiler à la crainte envers les divinités constatée dans toutes les religions depuis la plus haute antiquité : crainte notamment envers les calamités naturelles pensées d’origine divine, comme lors des épidémies, et encore récemment envers l’éruption de volcans en Océanie. L’homme par son culte et ses offrandes essaie d’apaiser cette colère divine. Mais cette crainte existe aussi dans la religion juive ; elle est évoquée par Moïse lorsqu’il met en garde les enfants d’Israël dans le cas de transgression des commandements divins. Le discours de Moïse évoque alors des sanctions épouvantables, des scènes effrayantes, telles que en Deut 28 ; 15 en particulier, quand il est dit : « Ton ciel qui s’étend sur ta tête sera d’airain, et la terre sous tes pieds sera de fer » (Ibid. 23) , ou, plus loin: « Et tu dévoreras le fruit de tes entrailles, la chair de tes fils et de tes filles, ces présents de l’Eternel ton Dieu, par suite du siège et de la détresse où t’étreindra ton ennemi » (Ibid. 53).
Pourtant il existe une autre acception de cette peur, où les termes de Ira et Fahad sont compris comme plus proches de la vénération que de la crainte.
L’amour est aussi intégré dans le passage le plus essentiel de la liturgie, juste avant et après le Chema Israël. Avant, on bénit Dieu qui aime son peuple Israël (Baroukh Ata haChem, Ohev amo Israël). Et aussitôt après le Chemâ, c’est le commandement : « Et tu aimeras l’Éternel ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, et de tout ton pouvoir ». (Véhaavta et haChem Elohekha bekhol levavkha ou bekhol nafchekha oubekhol mehodekha ». Il faut maintenant s’interroger : de quel amour et de quelle crainte s’agit-il ? Et de ces deux sentiments, quel est le plus important du point de vue de la foi ? Il semble bien s’agir de la crainte (ou déférence, vénération). C’est ainsi que Job est présenté ; « Ich haya beerets Outs, Yov chemo. Hahich hahou tam véyachar, véiré Eloïm et sar merâ » ; « Il y avait un homme dans le pays de Outs, dénommé Job. Cet homme était intègre et droit , craignant Dieu et évitant le mal ». Pour décrire sa principale qualité, on le présentait donc comme « craignant Dieu ». Ce qui fut attribué à Job passa ensuite dans le langage courant. En judéo-arabe l’homme pieux était dénommé couramment comme « Khaouaf Rabi » (craignant Dieu). Cf aussi la citation du Maggid de Mezeritch : « Quand un homme étudie la Torah avec amour et crainte, alors, grâce aux lettres de la Torah, il attire la vitalité sur toutes les créatures. ». La colère divine, on l’a vu, est pourtant réelle et peut être dévastatrice, mais elle est longue à apparaitre, et vite apaisée par sa bonté et sa miséricorde (Cf « HaChem HaChem, El rahoum véhanoun, Erekh hapaïm vérav hessed véemeth », proclamé par Moïse dans sa rencontre avec Dieu sur le Sinaï (Exode 34 ;6) : « HaChem, HaChem, tardif à la colère, plein de bienveillance et d’équité ».
La ligature d’Isaac est présentée d’emblée comme une mise à l’épreuve d’Abraham (Vé ha Elohim nissa et Abraham, Genèse 22 ;1). Pour le Talmud (Sanhédrin 89b) c’est la ligature d’Isaac qui est considérée comme la plus importante mise à l’épreuve de la foi d’Abraham. Le Talmud ici s’interroge : « Pourquoi Dieu a-t-Il dit, en donnant cet ordre à Abraham : « Prends s’il te plait (na) ton fils… » La réponse du Talmud est : Dieu dit à Abraham : « Je t’ai soumis à de nombreuses épreuves, et tu les as toutes surmontées. Maintenant, Je t’en supplie, surmonte cette épreuve pour Moi, de peur qu’on dise que les précédentes étaient sans substance ». A noter que l’ordre divin d’aller vers le Lieu était énoncé avec un Lekh lekha, comme précédemment quand Dieu lui ordonna de s’éloigner de la maison paternelle. On peut y voir par conséquent une mise à l’épreuve intériorisée.
Amour et crainte apparaissent ainsi comme fondateurs du judaïsme, susceptibles de mener aux plus grands sacrifices. Mais doit-on considérer la ligature d’Isaac comme exemplaire ? Question redoutable, à laquelle répond avec franchise un récit d’un maître du Hassidisme, fondateur du Habad : « Trois élèves « chauffeurs de fourneaux » disputent : « Si Dieu s’était révélé à moi et m’avait demandé de sacrifier mon fils, aurais-je obéi ? » Les trois répondent positivement, mais différemment, l’un tout de suite, les autres après hésitation, et avec plus ou moins d’empressement. Pourtant, on le sait, de nombreux juifs sacrifièrent leurs enfants avant de se suicider pour le Kidouch Hachem, plutôt que de renier leur foi.
Le huitième auteur proposé par Even-Hen est Abraham Joshua Heschel[13]. Heschel consacra sa vie au prophétisme. « L’identification spirituelle au Dieu d’Abraham, Isaac, et Jacob, et aux combats des prophètes est l’essence de la foi juive. » C’est mu par cette identification qu’il s’engagea contre la discrimination raciale aux côtés de Martin Luther King, puis contre la guerre au Vietnam. Sa dernière œuvre « A passion for truth » fut consacrée à la confrontation entre la ferveur dans la joie du hassidisme du Baal Chem Tov, et la recherche de la vérité sans concession exigée par le Rav Menshel Mendel de Kotsk (le « Kotzker »).
Pour Heschel, dans l’épisode de la ligature d’Isaac face au Dieu terrible (Nora) qui lui ordonne d’emmener son fils pour le sacrifice, Abraham est pris de crainte et de tremblement sacré (Heschel lecteur de Kierkegaard). Mais cette extase prophétique est en même temps amour de Dieu dans les deux sens : Dieu aime sa créature et exige en retour son amour pour la réparation du monde (Tikoun Olam). Dans les moments d’extase, seuls l’homme et Dieu existent. Les lèvres de l’homme Abraham tremblent et murmurent :
« Elohim » (Infini et Sainteté). La première parole du décalogue est « Je suis ton Dieu », et non votre Dieu. Abraham ne comprend ni la raison, ni la dureté (même si atténuée par le na du kah na) de l’ordre de Dieu. C’est une exigence qui va à l’encontre de son intuition morale profonde. Mais la gradation du Kah na montre que cet ordre est aussi difficile pour Dieu, traduisant une douleur, un pathos divin.
Abraham va marcher trois jours dans le silence et le tourbillon affectif : Amour, crainte, et tremblement. Heschel opère un rapprochement entre le Kotzker et Kierkegaard. Pour tous deux la ligature d’Isaac ouvre le chemin vers une théologie des profondeurs, la foi transcendant la morale. Heschel est attiré par la rigueur du Kotzker : celui-ci, mettait en garde contre l’enthousiasme, prônait l’écoute, le silence, l’auto-examen, et s’élevait contre la routine religieuse (« Une prière identique à celle de la veille, que vaut-elle ? »). Rigueur tragique pour certains. En tout cas Heschel s’en inspire quand il incite à se libérer de la fausseté et à s’élever au-dessus du moi. Mais le mysticisme est bien là : Fulgurance, extase. Un seul mot : Elohim.
Cependant pour Heschel, la crainte du ciel ne veut pas dire subir son joug sans contestation. Elle doit au contraire conduire le croyant à s’interroger et même à s’opposer à ce qui est contraire à son intuition morale (en cela, il s’oppose à la suspension téléologique de l’éthique défendue par Kierkegaard). Heschel écrit : « Des passages de la Mikra ne sont pas tout à fait cohérents avec nos intuitions morales profondes, et il nous appartient de nous conduire comme le fit Abraham quand il eut le courage d’interpeler Dieu lors de l’épisode de Sodome et Gomorrhe ».
Réfléchissons maintenant un moment sur ces deux dimensions d’amour et de crainte qui, pour tous ces commentateurs, expliquent l’attitude d’Abraham à la réception de l’ordre divin. L’amour, on l’a dit, était réciproque, de Dieu pour Abraham et d’Abraham pour Dieu. De quel genre d’amour s’agit-il ? On pourrait le comparer à celui, réciproque, entre un père -ou une mère- et son enfant. Avec sans doute, une dimension mystique supplémentaire. Mais surtout de quelle crainte de Dieu s’agissait-il ? Peut-être ici encore celle qu’éprouve un enfant envers son père ? Ne pourrait-on pas plutôt l’assimiler à la crainte envers les divinités constatée dans toutes les religions depuis la plus haute antiquité : crainte notamment envers les calamités naturelles pensées d’origine divine, comme lors des épidémies, et encore récemment envers l’éruption de volcans en Océanie. L’homme par son culte et ses offrandes essaie d’apaiser cette colère divine. Mais cette crainte existe aussi dans la religion juive ; elle est évoquée par Moïse lorsqu’il met en garde les enfants d’Israël dans le cas de transgression des commandements divins. Le discours de Moïse évoque alors des sanctions épouvantables, des scènes effrayantes, telles que en Deut 28 ; 15 en particulier, quand il est dit : « Ton ciel qui s’étend sur ta tête sera d’airain, et la terre sous tes pieds sera de fer » (Ibid. 23) , ou, plus loin: « Et tu dévoreras le fruit de tes entrailles, la chair de tes fils et de tes filles, ces présents de l’Eternel ton Dieu, par suite du siège et de la détresse où t’étreindra ton ennemi » (Ibid. 53).
Pourtant il existe une autre acception de cette peur, où les termes de Ira et Fahad sont compris comme plus proches de la vénération que de la crainte.
L’amour est aussi intégré dans le passage le plus essentiel de la liturgie, juste avant et après le Chema Israël. Avant, on bénit Dieu qui aime son peuple Israël (Baroukh Ata haChem, Ohev amo Israël). Et aussitôt après le Chemâ, c’est le commandement : « Et tu aimeras l’Éternel ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, et de tout ton pouvoir ». (Véhaavta et haChem Elohekha bekhol levavkha ou bekhol nafchekha oubekhol mehodekha ». Il faut maintenant s’interroger : de quel amour et de quelle crainte s’agit-il ? Et de ces deux sentiments, quel est le plus important du point de vue de la foi ? Il semble bien s’agir de la crainte (ou déférence, vénération). C’est ainsi que Job est présenté ; « Ich haya beerets Outs, Yov chemo. Hahich hahou tam véyachar, véiré Eloïm et sar merâ » ; « Il y avait un homme dans le pays de Outs, dénommé Job. Cet homme était intègre et droit , craignant Dieu et évitant le mal ». Pour décrire sa principale qualité, on le présentait donc comme « craignant Dieu ». Ce qui fut attribué à Job passa ensuite dans le langage courant. En judéo-arabe l’homme pieux était dénommé couramment comme « Khaouaf Rabi » (craignant Dieu). Cf aussi la citation du Maggid de Mezeritch : « Quand un homme étudie la Torah avec amour et crainte, alors, grâce aux lettres de la Torah, il attire la vitalité sur toutes les créatures. ». La colère divine, on l’a vu, est pourtant réelle et peut être dévastatrice, mais elle est longue à apparaitre, et vite apaisée par sa bonté et sa miséricorde (Cf « HaChem HaChem, El rahoum véhanoun, Erekh hapaïm vérav hessed véemeth », proclamé par Moïse dans sa rencontre avec Dieu sur le Sinaï (Exode 34 ;6) : « HaChem, HaChem, tardif à la colère, plein de bienveillance et d’équité ».
La ligature d’Isaac est présentée d’emblée comme une mise à l’épreuve d’Abraham (Vé ha Elohim nissa et Abraham, Genèse 22 ;1). Pour le Talmud (Sanhédrin 89b) c’est la ligature d’Isaac qui est considérée comme la plus importante mise à l’épreuve de la foi d’Abraham. Le Talmud ici s’interroge : « Pourquoi Dieu a-t-Il dit, en donnant cet ordre à Abraham : « Prends s’il te plait (na) ton fils… » La réponse du Talmud est : Dieu dit à Abraham : « Je t’ai soumis à de nombreuses épreuves, et tu les as toutes surmontées. Maintenant, Je t’en supplie, surmonte cette épreuve pour Moi, de peur qu’on dise que les précédentes étaient sans substance ». A noter que l’ordre divin d’aller vers le Lieu était énoncé avec un Lekh lekha, comme précédemment quand Dieu lui ordonna de s’éloigner de la maison paternelle. On peut y voir par conséquent une mise à l’épreuve intériorisée.
Amour et crainte apparaissent ainsi comme fondateurs du judaïsme, susceptibles de mener aux plus grands sacrifices. Mais doit-on considérer la ligature d’Isaac comme exemplaire ? Question redoutable, à laquelle répond avec franchise un récit d’un maître du Hassidisme, fondateur du Habad : « Trois élèves « chauffeurs de fourneaux » disputent : « Si Dieu s’était révélé à moi et m’avait demandé de sacrifier mon fils, aurais-je obéi ? » Les trois répondent positivement, mais différemment, l’un tout de suite, les autres après hésitation, et avec plus ou moins d’empressement. Pourtant, on le sait, de nombreux juifs sacrifièrent leurs enfants avant de se suicider pour le Kidouch Hachem, plutôt que de renier leur foi.
biographies
Abraham Joshua Heschel
Biographie
Naissance11 janvier 1907
Varsovie
Décès23 décembre 1972 (à 65 ans)
New York
NationalitésAméricain, Polonais
FormationUniversité Humboldt de Berlin
ActivitésRabbin, philosophe, érudit du judaïsme, professeur d'université
EnfantSusannah Heschel (en)
Biographie
Naissance11 janvier 1907
Varsovie
Décès23 décembre 1972 (à 65 ans)
New York
NationalitésAméricain, Polonais
FormationUniversité Humboldt de Berlin
ActivitésRabbin, philosophe, érudit du judaïsme, professeur d'université
EnfantSusannah Heschel (en)
Samson Raphael Hirsch
(hébreu : שמשון רפאל הירש Shimshon Raphaël Hirsch) est un rabbin allemand du xixe siècle (20 juin 1808 - 31 décembre 1888). Opposant de la réforme du judaïsme, il fonde la communauté orthodoxe de Francfort-sur-le-Main et jette les bases, avec Azriel Hildesheimer, du judaïsme orthodoxe moderne ou néo-orthodoxie. Premier auteur écrivant en langue allemande moderne en faveur du judaïsme orthodoxe, il établit la première école juive moderne, et défend dans ses nombreux écrits sa conception sur l'intégration d'éléments de la culture moderne dans la structure du judaïsme sous le nom de Torah im Derekh Eretz (en) (hébreu תורה עם דרך ארץ - « [suivre] la Torah ainsi que les voies du pays [de résidence] »).
Il est en outre l'un des plus premiers commentateurs modernes avec le Malbim à défendre le judaïsme contre les arguments de la critique radicale, s'opposant sur ce point non seulement aux théoriciens du mouvement réformé, mais aussi à l'école positive-historique fondée par le rabbin Zacharias Frankel.
(hébreu : שמשון רפאל הירש Shimshon Raphaël Hirsch) est un rabbin allemand du xixe siècle (20 juin 1808 - 31 décembre 1888). Opposant de la réforme du judaïsme, il fonde la communauté orthodoxe de Francfort-sur-le-Main et jette les bases, avec Azriel Hildesheimer, du judaïsme orthodoxe moderne ou néo-orthodoxie. Premier auteur écrivant en langue allemande moderne en faveur du judaïsme orthodoxe, il établit la première école juive moderne, et défend dans ses nombreux écrits sa conception sur l'intégration d'éléments de la culture moderne dans la structure du judaïsme sous le nom de Torah im Derekh Eretz (en) (hébreu תורה עם דרך ארץ - « [suivre] la Torah ainsi que les voies du pays [de résidence] »).
Il est en outre l'un des plus premiers commentateurs modernes avec le Malbim à défendre le judaïsme contre les arguments de la critique radicale, s'opposant sur ce point non seulement aux théoriciens du mouvement réformé, mais aussi à l'école positive-historique fondée par le rabbin Zacharias Frankel.
Levi Yitzhok (Derbaremdiker) de Berditchev (yiddish : לוי יצחק בערדיטשעווער ; hébreu : לוי יצחק מברדיצ'ב) est un maître hassidique du xviiie siècle (Goussakov (en polonais, Hussaków, Voïvodie ruthène, Galicie) 1740 - Berditchev 5 octobre 1809).
Disciple de Dov Baer de Mezeritch, il est l’un des rabbins les plus populaires de l’histoire du hassidisme et le sujet de nombreux contes et histoires qui font l’éloge de sa ferveur dans la prière et dans la défense des Juifs allant parfois jusqu’à la révolte théologique et lui valant le surnom d’« amant » ou « intercesseur d’Israël ».
Une partie importante de son enseignement est publiée à titre posthume en deux tomes dans le Kedoushat Levi. Il est aussi l’auteur de classiques du répertoire hassidique comme Dou-dou ou A din Toyre mit Gott.
Disciple de Dov Baer de Mezeritch, il est l’un des rabbins les plus populaires de l’histoire du hassidisme et le sujet de nombreux contes et histoires qui font l’éloge de sa ferveur dans la prière et dans la défense des Juifs allant parfois jusqu’à la révolte théologique et lui valant le surnom d’« amant » ou « intercesseur d’Israël ».
Une partie importante de son enseignement est publiée à titre posthume en deux tomes dans le Kedoushat Levi. Il est aussi l’auteur de classiques du répertoire hassidique comme Dou-dou ou A din Toyre mit Gott.
Itshak ben Yehouda Abravanel (יצחק אברבנאל) (ou Abarbanel, Abrabanel, Avravanel) est né en 1437 à Lisbonne (Portugal) et mort en 1508 à Venise (Italie), membre de la célèbre famille Abravanel, fut un homme d’État, ministre des finances des royaumes du Portugal, de Castille, d'Aragon et de Naples. Philosophe, commentateur biblique et financier juif, il est aussi l'un des leaders des Juifs dans la péninsule ibérique.
On l'évoque souvent à lui par son seul nom de famille, dont la prononciation devient selon qu’on se réfère à l’opinion d’érudits ou de lettrés, Abravanel, Abrabanel, ou, dans les livres d’étude juive, Abarbanel.
Son prestige fut tel que les rois catholiques usèrent de tous les stratagèmes pour tenter d’empêcher don Isaac de suivre ses frères hors d’Espagne en 1492. La présence de Don Judah Abravanel est attestée à Séville, bien qu’on parle déjà d’un grand Sage Abravanel sous Alphonse X dit le Sage.
Il est enterré à Padoue.
On l'évoque souvent à lui par son seul nom de famille, dont la prononciation devient selon qu’on se réfère à l’opinion d’érudits ou de lettrés, Abravanel, Abrabanel, ou, dans les livres d’étude juive, Abarbanel.
Son prestige fut tel que les rois catholiques usèrent de tous les stratagèmes pour tenter d’empêcher don Isaac de suivre ses frères hors d’Espagne en 1492. La présence de Don Judah Abravanel est attestée à Séville, bien qu’on parle déjà d’un grand Sage Abravanel sous Alphonse X dit le Sage.
Il est enterré à Padoue.
Abraham Isaac haCohen Kook, né à Grīva, aujourd'hui en Lettonie, le 8 septembre 1865 et mort à Jérusalem le 1er septembre 1935, fut le premier grand-rabbin ashkénaze en Terre d'Israël à l’époque du mandat britannique, il fut un décisionnaire en droit talmudique (halakha), un kabbaliste et un penseur.il est le maître a penser du sionisme religieux.